Une amie pénible

La situation insupportable

Au cours d'un Atelier Systémique, Marie-Sophie explique sa situation :

"Corinne est une amie proche. Parfois ça va bien. Et parfois c'est insupportable. 

Elle met beaucoup d'énergie à me dire ce que je dois faire et même ce que je dois penser.

Elle a 4 ans de plus que moi. Nous nous sommes connues à l'école primaire. Mais aujourd'hui j'ai 40 ans...

Je suis profondément agacée par ses leçons et ses exhortations. Notre lien s'est plusieurs fois dégradé, avec de la colère, de la distance, des ruptures.

Elle ne supporte pas que je discute, que je résiste à ses pressions.

Cela peut concerner n'importe quoi, des achats, des principes, des habitudes.

Je lui dis :"Mais c'est moi qui pense cela, ce sont mes idées, c'est ma vie !"

On dirait que la contradiction l'excite. Elle juge. Et quand je résiste elle me dit : "Oh...mais qu'est-ce que tu es fermée !"

Parfois je me fâche et elle se calme. Mais ça ne dure pas. Il n'y a pas d'écoute. 

Et pourtant il peut y avoir aussi de bonnes périodes dans lesquelles on partage beaucoup.

 

Il est arrivé qu'elle m'invite dans sa famille. Une fois, j'ai émis une idée qui ne lui plaisait pas. Elle s'est écriée alors tout fort et de manière péremptoire :  "Oh ! Mais tu me piques l'oreille !". 

Comment dire...,  ça, ça m'a choquée".

Oui, il y a des moments où je ne me sens simplement pas respectée. Et même comme si elle m'empêchait d'exister.

 

Le noeud systémique

Le bon sens dirait : "Marie-Sophie, ne te laisse pas faire, arrête-la !"

Mais elle le fait déjà, sans succès satisfaisant.

La communication non violente inviterait à formuler ses besoins. Ici, elle le fait, et ça ne fonctionne pas. Pas plus que les principes de l'assertivité.

Stopper la relation ? Oui, possible. Cela pourrait arriver. Mais pour l'instant Marie-Sophie ne le souhaite pas, car il y a une base d'amitié forte et ancienne.

Est-ce un nœud systémique ? Oui car il y a répétition, souffrance, impuissance et pas d'autre idée en vue. C'est un cercle vicieux douloureux.

 

Alors identifions : quelles sont les actions d'Anne-Sophie ? Réponse : Protester, dire d'arrêter.

Ici, avec un regard systémique, ce qui se passe confirme que dire d'arrêter ne fonctionne pas, voir stimule Corinne.

La solution de Marie-Sophie maintient ou aggrave le problème.

Le mouvement paradoxal

Le mouvement paradoxale va consister à stopper ce message contre-productif, et donc pour cela à préparer le message opposé...!

Quel est alors le mouvement opposé à "Arrête !" ? C'est bien sûr "Continue !". Mais cela paraît étrange. Comment donner un sens à cette direction ? (qui fait penser à "tout mais pas ça !")

 

En effet, si on reformule le problème, on pourrait dire que Anne-Sophie demande à être respectée et qu'elle se sent infantilisée, niée, empêchée d'exister. Quelque chose de violent donc, pour elle. Alors qu'elle souhaite garder l'amitié et les bons moments.

 

Alors, en discutant avec Marie-Sophie, une proposition émerge peu à peu qui consisterait à dire quelque chose comme :

Corinne, il faut que je te dise quelque chose. Je t'en veux souvent car j'ai le sentiment que tu veux m'imposer tes idées. Eh bien je pense que finalement j'ai tort de t'en vouloir parce qu'en fait tu me rends service. En effet, plus tu veux avoir raison ou plus tu fais "la maîtresse d'école", et plus ça m'aide vraiment à me rendre compte de mon besoin fort d'être respectée et d'exister. En fait ça me renforce. J'identifie mieux mes propres idées et ma différence. Donc je ne te le reprocherai plus. Tu peux continuer.

 

 

Certains penseront peut-être au judo : on ne s'oppose pas à la force de l'adversaire, on l'utilise, on la prolonge.

Ce qui peut aider à "vendre" l'idée, c'est d'ajouter que ça va faire une "grosse surprise" à Corinne, elle va se retrouver "désarçonnée". En disant cela, on rejoint Marie-Sophie dans son sentiment d'irritation.

 

Marie-Sophie joue avec cette idée, s'imagine en situation. Cela lui parle. Elle se sent bien. Elle a moins envie de riposter. Elle en sourit. Elle voit que ça ne va pas dans l'affrontement avec une amie. Elle a envie de faire l'expérience. 

Une expérience qui change le contexte

Dans le Regard Systémique, on n'enseigne pas une méthode au client, on ne fournit pas non plus une solution, on imagine une expérience que l'on construit avec le client.

On ne garantit rien, mais déjà l'idée de cette expérience provoque tout d'abord un changement de posture chez la cliente.

Il y a bien une stratégie précise (le mouvement paradoxal). Mais il y a aussi de la place pour inventer avec les mots et les idées du client.

 

On ne garantit rien, mais déjà l'idée de cette expérience provoque tout d'abord un changement de posture chez la cliente.

Il y a bien une stratégie précise (le mouvement paradoxal). Mais il y a aussi de la place pour inventer avec les mots et les idées du client.

Pas d'approche psy : on ne s'occupe pas d'une pathologie interne ni chez A ni chez B.

Le cercle vicieux se suffit à lui-même, il s'auto-alimente tout seul.

Pas d'approche psy : on ne s'occupe pas d'une pathologie interne ni chez A ni chez B.

Le cercle vicieux se suffit à lui-même, il s'auto-alimente tout seul.

On arrête le "plus de la même chose qui ne fonctionne pas"

Une bonne façon de l'arrêter est de proposer de faire l'inverse.

Et l'injonction surprenante : "Continue", va déjà stopper la boucle infernale.

Encore faut-il trouver, bien sûr, le moyen que la cliente "achète" l'expérience : tout est là et c'est du sur-mesure.

 

Notre hypothèse est que cette expérience, dès sa préparation, crée une sorte de contexte différent qui va permettre à B de trouver ses solutions ultérieures.

Corinne aussi va certainement vivre une situation un peu étrange.

L'approche apparaît donc, en un sens, simple et élégante. Mais à condition que la cliente se sente bien comprise, puis intéressée et suffisamment convaincue.

Quand "arrêter" ne fonctionne pas

Ce type de situation est fréquent : un collaborateur mal traité par son manager, une collègue dévalorisé par une autre collègue, une personne qui se sent harcelée, etc.

Dans ces cas, le message de retour devra être soigneusement imaginé mais aussi calibré : plus ou moins  inconfortable pour l'émetteur selon le niveau d'hostilité notamment. Mais dans tous les cas, surprenant et provoquant un effet paradoxal.

Dominique Delaunay