(Situation présentée dans un Atelier systémique).
Sandrine, 47 ans, est directrice RH et logistique, membre du Codir, dans un établissement public de1200 personnes à Poitiers, et recouvrant des métiers à forte expertise.
Décidé au niveau national de cette grande institution, dans le cadre d'une réorientation stratégique, l'établissement de Poitiers doit fermer, et les 1200 personnes doivent être reclassées, par un changement géographique et peut être de métier.
C'est à la fois une responsabilité humaine et un énorme travail, que Sandrine prend à coeur.
De multiples accompagnements individuels sont mis en place auprès des agents pour faciliter les reconversions, sur un délai maximal de 9 mois.
Les instances nationales ont décidé que les directeurs, en revanche, n'avaient pas spécialement à être accompagnés, mais devaient directement se prendre en main pour établir des contacts, si besoin dans les différentes régions, afin de se trouver un point de chute qui conviennent à leurs aspirations et à leurs compétences : ils doivent construire leur projet et " leur offre de service".
Sandrine a eu tout de même droit à 2 entretiens de coaching, mais elle a du mal à y voir clair sur son devenir. C'est le seul accompagnement pour elle.
En réalité elle trouve la procédure injuste pour les directeurs comme elle, très difficile à accepter. Elle est en colère.
Il y a bien des possibilités évidentes : RH dans un petit établissement, sans intérêt pour elle. Ou rejoindre à Paris les états-majors : ça ne lui convient pas du tout.
Il faudrait donc qu'elle construise son "offre de service" et qu'elle aille tirer des sonnettes dans les différentes directions régionales, dans les niveaux stratégiques, pour "quémander" et voir si on veut bien l'embaucher, afin d'"être recasée".
Or son but n'est pas de trouver du travail, mais de s'investir dans quelque chose qui ait du sens, qui soit vraiment utile et demandé, un projet significatif. Et ça, pour le trouver - s'il existe et s'il est disponible - c'est très loin d'être gagné. Zéro visibilité.
Elle a soudain le sentiment d'un grand vide. À cela s'ajoute le fait que depuis 20 ans elle n'a jamais eu à postuler, et qu'elle n'aime pas du tout se vendre, et qu'elle sent qu'elle ne sera pas du tout convaincante.
"Dans tout ça je n'ai rien demandé, se dit-elle, et je me sens dans la confusion, je ne sais pas ce que je veux, je n'ai pas envie de rentrer dans cette seringue, pas l'énergie et encore moins dans cette période où je suis dans cette situation lourde d'accompagner 1200 personnes, et où souvent je me demande comment tenir".
Elle est d'autant plus en colère qu'elle a fait récemment une proposition d'un projet important qui a été refusé par le niveau national.
" Que faire ? Je n'ai ni l'énergie ni l'envie...", pense-t'elle. "Ou alors quitter cette institution ? Peut-être. Mais le saut est grand".
Face à une telle situation, chacun, dans l'Atelier systémique, se sent bien évidemment mobilisé pour aider, conforter et résoudre en proposant toutes sortes d'idées, telles que :
- entre dans un réseau de RH pour être soutenue
- fais un coaching pour te faire accompagner
- fais un bilan de compétences pour bien voir tes forces
- dégage du temps pour toi et délègue tout ce que tu peux, etc.
On sait pourtant qu'il est plus fécond d'accompagner un raisonnement que de proposer du poisson (comme dit Lao Tseu).
Cela dit, les questions de prise de décision sont fréquentes dans les situations d'accompagnement. Comment aider la réflexion dans ces types de cas ?
Ce regard va insister sur les points suivants :
- surtout ne pas pousser à décider (d'autant que la personne a déjà souvent des auto -injonctions pressantes et
bloquantes de devoir décider)
- justement alléger le " devoir décider" en confirmant que la situation est particulièrement complexe et qu'il y a
vraiment de quoi hésiter.
- prendre en compte ici le fait que la personne est bloquée par sa colère envers le système et le "manque d'envie".
Et proposer un dispositif pour une exploration de cette colère bloquante.
- bien situer le cadre de la décision : Tu disposes de quel délai ? Y a t-il des étapes ou des passages obligés ? Et
si tu ne fais rien il se passe quoi ? Et tu en penses quoi ?
- faire énoncer toutes les options, y compris les options oubliées ("Renoncer à un projet professionnel de valeur,
mais retrouver ma région d'origine et prioriser le bonheur d'y vivre")
- ne pas pousser à s'intégrer à un réseau de soutien mais juste noter : "Dans cette affaire, tu parais seule"
- faire alors visiter toutes les options une par une, en examinant bien sûr les risques de chacune, en mettant au pire, en voyant éventuellement s'il y a des réponses à ces risques
- concrétiser les options
- en proposant, chemin faisant, des recadrages pour assouplir la construction du dilemme. Par exemple : " Tu sollicites humblement des directeurs régionaux pour te reclasser ou bien tu prends des contacts avec ces directeurs pour voir s'ils ont, eux, des projets de valeur et s'ils sont capables, eux, de t'y intéresser?" (inverser le mouvement)
- tester 3 premiers contacts à haut niveau, sans conviction ni effort, (sans rentrer dans la seringue) pour voir ce qui se passe et avoir un petit début de visibilité pour mieux décider.
En fin de cet Atelier systémique, Sandrine dit avoir beaucoup avancé : elle ne se sent plus coincée, elle retrouve l'envie de pousser l'exploration et la vigueur de challenger les interlocuteurs.
La systémique insiste sur ce point : ne pas orienter, ne pas résoudre, ne pas promettre de résoudre, ne pas pousser, mais au contraire confirmer la difficulté et surtout faire visiter systématiquement les risques. Cela ne paraît pas encourageant. Mais, on le sait, une personne avertie en vaut trois.