Martin dirige un centre social dans une commune de Bourgogne. Ce centre a deux missions : a) accompagner les scolarités par des activités culturelles ou de loisirs et également b) créer une vie de quartier.
À son arrivée il s'est surtout investi dans l'activité " Vie de quartier" qui était très prioritaire : former les animateurs, revoir les contrats, gérer les finances.
Ce n'est que récemment qu'il regarde de plus près l'activité " Atelier loisirs et accompagnement des scolarités" qui semblait fonctionner. Il se rend mieux compte que ce secteur, piloté en principe par sa directrice adjointe, Jenny, est en situation insatisfaisante. Jenny est en difficulté pour remplir sa mission.
Il présente sa préoccupation au cours d'une séance "Atelier systémique".
Ancien éducateur et très sensible à sa mission sociale, son premier mouvement est de voir comment il peut aider son adjointe, Jenny.
En regardant peu à peu de plus près, il fait des constats qui le soucient :
- Jenny est excellente pour tout ce qui est le respect des règles et la sécurité des enfants. Elle s'occupe activement également de l'organisation matérielle, et de tout ce qui concerne le ménage et l'hygiène.
- Cependant elle s'occupe très peu du pilotage de la dizaine d'animateurs, de la conduite des réunions, des initiatives d'animation.
Martin élabore des propositions pour redynamiser ce secteur. Jenny s'écrie que ça ne sert à rien, se fâche, et sort.
L'incident trouble Martin. Ce n'est que peu à peu qu'il se rend compte que Jenny ne sait pas conduire une réunion, ne sait pas rédiger un rapport, ne sait pas animer l'équipe, ne peut pas manager.
Il tente alors de dialoguer pour trouver au moins des angles de collaboration. Jenny évite le dialogue et ce justifie sans fin, s'énerve vite, met fin aux échanges.
Il doit alors regarder les conclusions en face : Jenny n'est pas du tout à sa place. Avec le Conseil d'administration, il entreprend de consulter un avocat et d'envisager une rupture conventionnelle. C'est très incertain car l'ancienneté de Jenny amène à des coûts élevés. Elle est de plus secrétaire du CSE. Il lui reste 4 ans avant la retraite.
On croit comprendre alors que le problème est de voir comment faire partir Jenny, éventuellement en faisant avancer ce projet de rupture. Mais finalement cela suit son cours, bien que complexe.
Puis Martin revient sur l'activité "Ateliers de loisirs" : Il faut donc contourner Jenny, animer en direct les animateurs, ce qui n'est pas sain, sans doute promouvoir l'un des animateurs qui pourrait prendre le pilotage progressivement.
On croit comprendre alors que le problème c'est de manager en porte-à-faux, en court-circuitant, ce qui est contraire à un fonctionnement sain, en mettant entre parenthèses sa collaboratrice, inconfort pour tout le monde. C'est cela le souci ?
Pourtant on va découvrir que ce n'est pas non plus le problème : Quelle est donc la question qu'il se pose, au-delà des deux préoccupations évoquées ? Quelque chose le gêne encore plus. Mais quoi ?
Martin est quelqu'un d'investi dans le dialogue, dans le développement des personnes, dans les relations constructives.
Et il vit comme un échec personnel le fait de ne pouvoir avancer dans la coopération avec Jenny. Il dit son impression d'être "en face d'un rocher". A maintes fois, il tente d'échanger. En vain. Il dit soudain : " Je me sens piégé. Pas de communication rationnelle. Quelqu'un d'immobile. C'est épuisant". Martin se rend compte qu'il est blessé dans ses valeurs. Et que ça lui "pourrit" la vie.
Les problèmes de rupture conventionnelle ou de management en déséquilibre, il va les traiter. Mais ce problème permanent et quotidien de communication impossible et de blocage, "le piège", et le fâche en continu
Bien sûr il doit prendre des décisions fermes mais veut le faire sans autoritarisme, avec au minimum un échange et une écoute de la personne. Ses valeurs ne s'y retrouvent pas.
Si Martin tient, depuis des semaines, sans succès et avec souffrance, à obtenir au moins un échange minimum avec Jenny, alors le mouvement paradoxal, à 180°, va l'inviter à accepter de renoncer à "un acharnement thérapeutique avec un rocher". Ce n'est pas bon pour la santé.
Comment cohabiter cependant avec Jenny ? Comprendre sans doute qu'elle voit que ses limites sont bien apparues, qu'elle est en grande insécurité. Et que plus on veut communiquer avec elle, plus elle se sent exposée et plus elle se ferme.
Le contraire de dialoguer c'est imposer. Dans ce cas, est-ce qu'une simple directivité ne serait pas mieux adaptée ? Fournir des consignes claires et pratiques, sans se soucier ni d'échange ni d'adhésion. En un sens ce serait une sécurité pour tous.
Pour Martin, un chemin se dégage.
Notre bel apprentissage dans cette séance, c'est surtout de ne pas comprendre trop vite le problème, problème qui de plus n'apparaît que peu à peu, se construisant ensemble et avec le client et à mesure.